Algérie : le droit à l’avortement en débat à l’Assemblée nationale

Un projet de loi examiné actuellement par la commission de la Santé de l’Assemblée populaire nationale (APN) prévoit un assouplissement – restreint – de la législation algérienne sur l’interruption volontaire de grossesse. L’occasion de dresser l’état des lieux des législations sur cette question dans les pays du Maghreb.

Des femmes dans le centre d’Alger, en août 2016. © Ouahab Hebbat/AP/SIPA

Des femmes dans le centre d’Alger, en août 2016. © Ouahab Hebbat/AP/SIPA

Publié le 30 novembre 2017 Lecture : 5 minutes.

« Une grande avancée » titrait Tout sur l’Algérie (TSA), le 16 novembre dernier, pour décrire le projet de loi qui vise à élargir les conditions permettant à une femme de procéder à une interruption volontaire de grossesse. Une avancée qu’il faut cependant tempérer.

Déposé début novembre par le ministère de la Santé devant la commission de la Santé et des Affaires sociales de l’Assemblée algérienne, le texte du projet de loi propose en effet, pour l’essentiel, un élargissement des conditions ouvrant droit à des avortements « thérapeutiques » – lorsque l’IVG est indispensable à la survie de la mère. Le changement envisagé concerne quelques cas de force majeure : malformation fœtale, grossesse suite à un viol ou danger imminent pour la santé de la mère. Et la date du passage du projet de loi devant l’Assemblée n’est pas encore connue.

Criminaliser l’IVG ne réduit pas les taux d’avortement

« Criminaliser l’IVG ne réduit pas les taux d’avortement mais pousse au contraire les femmes à recourir à des méthodes insalubres qui causeraient 29 000 morts annuelles sur le continent africain« , écrivait le 18 janvier 2016 Lucy Asuagbor, chargée du droit des femmes au sein de la Commission africaine pour les droits de l’homme et des peuples. Un constat partagé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui, parmi les facteurs favorisant le recours aux « avortements à risques », cite en premier lieu une législation restrictive.

Dans les pays du Maghreb, la question de l’IVG reste un tabou, pour des raisons à la fois sociales et cultuelles. Mais les législations évoluent, certes à des rythmes différents selon les pays. Tour d’horizon de ce que prévoient les législations maghrébines sur l’avortement.

The World’s Abortion Laws map ("Carte du monde des lois sur l'avortement") de 2014. © Center for Reproductive Rights (CRR)

The World’s Abortion Laws map ("Carte du monde des lois sur l'avortement") de 2014. © Center for Reproductive Rights (CRR)


• Algérie : un droit à l’IVG très limité

8 000 cas d’avortement par an, dont 200 à 300 clandestins

Bien que l’Association algérienne pour la planification familiale (AAPF) compte 8 000 cas d’avortement par an, dont 200 à 300 clandestins, l’Algérie est le pays le plus sévère de la région lorsqu’il s’agit d’interruption volontaire de la grossesse.

Les articles 304 à 310 du code pénal, portant sur l’avortement (datant de 1966 et de 1982), pénalisent ceux qui « inciteraient de quelque manière que ce soit : discours, affiches, publicité, assemblées générales ou groupements publics, illustrations ».

Les personnes reconnues coupables d’avoir pratiqué une opération ou d’avoir « incité » une femme à le faire risquent de deux mois à trois ans de prison, ainsi qu’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 dinars algériens (73 euros), et ce, « que la grossesse soit réelle ou supposée ».

Une femme qui avorte – ou qui tente de le faire – de manière consentante encourt elle-même une peine de 6 mois à 2 ans de prison et une amende maximale de 1 000 dinars (7,30 euros).

Toutefois, les articles 81 et 82 de la loi 85-05 relative à la protection et la promotion de la santé laissent le champ relativement libre aux femmes porteuses d’embryons atteints de malformations ou de maladies. Une même latitude est donnée si la mère subit un « ébranlement de son équilibre psychologique et mental ». Le législateur ne prend pas explicitement en compte les cas de grossesse non-voulues suite à un viol. Des grossesses qu’il était pourtant largement permis d’interrompre durant la décennie noire.  


• Maroc : légalisation partielle 

Il est encore nécessaire pour les Marocaines d’avoir l’accord du conjoint

Le Maroc affiche le taux d’IVG le plus élevé dans le monde arabe et se classe 8e à l’échelle internationale, selon le Health and Human Rights Journal de la US National Library of Medecine. Les femmes voulant avoir le « droit du choix » et les ONG qui les défendent ont obtenu partiellement gain de cause : depuis juin 2016, sur instruction royale, le conseil de gouvernement a élargi le droit à l’IVG pour certains cas particuliers

Les articles 449 à 455 du code pénal marocain prévoient ainsi que si « la femme est victime de viol ou d’inceste », condition qui doit être vérifiée au préalable par un médecin, elle peut recourir à un avortement.

L’interruption de grossesse n’est pas non plus illégale lorsque celle-ci représente un danger pour la santé de la mère, ou que le fœtus présente des symptômes de malformation génétique ou physique, ainsi que pour les femmes souffrant de troubles psychologiques, après vérification par un médecin et autorisation délivrée par un tuteur ou un conjoint.

Il est encore nécessaire pour les Marocaines d’avoir l’accord du conjoint, des parents ou du tuteur légal lorsqu’elles sont mineures.

Les sanctions pour le reste des IVG non réglementées vont de 1 à 5 ans de prison et d’une amende pouvant atteindre 500 dirhams (44,5 euros).

Il n’en demeure pas moins que la loi marocaine encadre sévèrement l’IVG, via des autorisations préalables et une série de conditions qu’il faut rigoureusement remplir si l’on veut tout de même exercer un avortement simplement par choix, note l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC). L’association évalue les cas d’avortement clandestin entre 600 et 800 par jour, dont 200 seraient effectués « dans des conditions sanitaires catastrophiques ».


• Tunisie : un droit à l’avortement inégalement accessible 

Un taux d’avortements clandestins encore élevé en milieu rural

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Classée en second dans le monde arabe et au 9e rang mondial pour ce qui concerne le taux de recours à l’IVG, la Tunisie a réglé la question légale de l’avortement depuis les premières années de son indépendance. Le droit à l’avortement est défini par l’article 214 du code pénal, d’abord en l’accordant, en 1965, aux femmes ayant cinq enfants et plus.

Une disposition amendée en 1973, l’IVG ne nécessitant alors plus de condition spécifique, dès lors qu’il est opéré durant les trois premiers mois de la grossesse et par un professionnel de la santé.

Les Tunisiennes, célibataires ou mariées, peuvent recourir à l’IVG dans les centres de planning familial ou auprès des gynécologues. Les IVG clandestines sont sanctionnées, quant à elles, de 10 000 dinars tunisiens (3 382 euros) et d’une peine de 5 ans de prison. La femme auteure de tentative d’avortement clandestin risque, elle, 2 ans d’emprisonnement et une amende de 2 000 dinars (environ 676 euros).

Si la loi reste libérale, l’Unfpa tunisien note un taux d’avortements clandestins encore élevé en milieu rural malgré l’encadrement assuré par l’Office national de la famille et de la population (Onfp) : 4 000 IVG annuelles seraient opérées de manière clandestine, sur un total de 17 000 annuelles déclarées dans des centres médicaux ou de planning familial.

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La société civile tunisienne dénonce cependant un manque d’éducation sexuelle en milieu rural, et jugent inégalitaire le droit à l’IVG entre les différents milieux sociaux et les régions : les centres de planning familial ne sont pas uniformément répartis sur le territoire, et ils manqueraient cruellement de personnel pour subvenir aux besoins de toutes les Tunisiennes désirant avorter.

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